Les chambres disciplinaires de l’Ordre peuvent-elles sanctionner un professionnel de santé pour une simple faute de gestion ? En réalité, seules les fautes constituant un manquement aux règles déontologiques peuvent donner lieu à sanction. Or, la mauvaise gestion financière ou organisationnelle du cabinet peut, dans certaines situations, porter atteinte à l’indépendance ou à la dignité du praticien et ainsi justifier une procédure disciplinaire. Décryptage.
Le cadre disciplinaire ordinal : un pouvoir strictement encadré
A. Seules les chambres disciplinaires peuvent infliger une sanction
Les Conseils départementaux de l’Ordre n’ont pas le pouvoir de sanctionner un professionnel. Leur rôle est avant tout consultatif et préventif : ils peuvent être saisis d’une plainte, instruire le dossier, tenter une conciliation et éventuellement décider de poursuivre le praticien. La sanction, en revanche, ne peut être prononcée que par les chambres disciplinaires de première instance (au niveau régional) ou par la chambre nationale en appel. Ces juridictions ordinales agissent dans un cadre juridique précis, indépendant de la responsabilité civile ou pénale.
B. Une sanction suppose un manquement aux règles déontologiques
Les juridictions ordinales ne sanctionnent que les manquements au Code de déontologie. Autrement dit, une faute de gestion ne peut être sanctionnée que si elle viole un principe déontologique, tel que :
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- la probité, la moralité ou la dignité professionnelle ;
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- le respect de l’indépendance ;
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- le bon exercice de la profession (continuité et qualité des soins) ;
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- et cetera…
Les sanctions vont de l’avertissement à la radiation définitive, en passant par le blâme ou l’interdiction temporaire d’exercice (avec ou sans sursis).
La faute de gestion peut-elle devenir une faute déontologique ?
A. Définir la « faute de gestion »
Dans un cabinet libéral, la « faute de gestion » recouvre de nombreuses situations :
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- endettement excessif ou gestion financière désordonnée ;
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- confusion entre patrimoine professionnel et personnel ;
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- non-paiement des charges sociales ou fiscales ;
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- absence de transparence dans les contrats d’association ;
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- faillite ou liquidation mal gérée.
Ces difficultés, si elles affectent le bon exercice de la profession, peuvent revêtir une dimension déontologique.
B. Quand la gestion devient un manquement aux règles ordinales
Une simple difficulté financière ne suffit pas à déclencher une sanction disciplinaire. En revanche, si la mauvaise gestion compromet l’indépendance ou la dignité du praticien, l’Ordre peut intervenir. Quelques exemples :
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- un praticien endetté au point d’être dépendant d’un financeur privé ;
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- un médecin dont la faillite entraîne l’abandon brutal des patients ;
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- un professionnel exerçant sous l’influence économique d’un groupe commercial.
Dans ces situations, la faute de gestion devient le vecteur d’un manquement déontologique.
C. Illustrations jurisprudentielles
La jurisprudence ordinale montre que les difficultés financières peuvent être retenues lorsqu’elles traduisent un manque de probité ou d’indépendance. Certaines décisions ont confirmé des sanctions pour des praticiens ayant accumulé des dettes incompatibles avec la dignité de la profession, ou ayant confondu gestion commerciale et mission de soins. D’autres rappellent que l’absence de transparence financière (notamment dans les sociétés d’exercice libéral) peut être constitutive d’un manquement déontologique.
L’indépendance financière : une exigence cardinale de la déontologie
A. L’indépendance, première des obligations déontologiques
La liberté de prescription, la loyauté envers les patients et l’impartialité du professionnel supposent une indépendance absolue. Or, cette indépendance peut être fragilisée par des liens économiques ou une situation financière précaire. L’article R.4127-5 du Code de la santé publique interdit tout lien de nature à aliéner cette indépendance, qu’il soit moral ou financier.
B. Quand la perte d’indépendance résulte d’une mauvaise gestion
Un praticien surendetté ou dépendant d’un investisseur risque de voir son jugement professionnel altéré et d’être privé de moyens et d’équipement lui permettant de prendre correctement en charge ses patients. C’est pour éviter ces dérives que l’Ordre peut considérer qu’une gestion défaillante constitue un manquement déontologique. La sanction vise alors non la situation économique en soi, mais la perte d’autonomie qu’elle engendre.
C. Prévenir le risque disciplinaire
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- Tenir une comptabilité claire et distincte ;
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- Anticiper les difficultés financières ;
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- Choisir des structures juridiques adaptées ;
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- Éviter les contrats créant une dépendance économique ;
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- Se faire accompagner par un avocat en droit de la santé pour sécuriser la gestion.
Conclusion
L’Ordre ne sanctionne pas la faute de gestion en tant que telle : son rôle n’est pas de juger la qualité du gestionnaire, mais le respect des règles déontologique par le praticien. Cependant, dès qu’une difficulté financière ou organisationnelle met en péril l’indépendance, la probité ou la dignité du praticien, la juridiction ordinale peut légitimement intervenir. Autrement dit, la bonne gestion du cabinet fait partie intégrante du respect des obligations déontologiques. Anticiper, se faire accompagner et maintenir son indépendance restent les meilleurs moyens d’éviter qu’une erreur de gestion ne devienne une faute disciplinaire.
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